C’était à la fin des années 1990 : le chien avait 6 mois et je rentrais encore dans mon pantalon de ski de fond. J’allais dans les Alpes et devais prendre une
correspondance à Lyon. C'est là qu'est venue s’asseoir en face de moi une jeune femme que j’ai trouvée « improbable ». La trentaine, elle était vêtue d’un costume de religieuse tel
qu’on n’en porte plus depuis la fin de Vatican II. Il était de couleur grise, y compris la guimpe autour de son visage, dont seul l’ovale était visible. Un visage d’une beauté remarquable et
parfaitement mis en valeur par la tenue qui se voulait "modeste" qu’elle portait. Un jour dans l’ancienne bibliothèque des archives départementales, alors que je regardais les rayons à
hauteur de mes yeux, je m'étais pris les pieds dans la soutane d’un curé qui consultait, lui, les rayons du bas : il y a des intégristes catho, vers Brout-Vernet. Je savais donc que des curés en
soutane circulaient encore. Alors, peut-être après tout, y avait-il encore des couvents dans lesquels l’on portait ce costume. Pourtant, elle n’arborait pas ostensiblement une croix sur sa
poitrine. Et surtout, elle était accompagnée d’un jeune enfant qui l’appelait « maman ».
L’éducation que j’ai reçue fait que l’on ne fixe pas les gens, car c’est considéré comme impoli : j’ai ouvert un bouquin et me suis mise à lire. Tout à coup, j’ai entendu une imprécation.
Cette si belle jeune femme invectivait très vulgairement des gens assis derrière moi et leur demandait : « vous ne voulez pas aussi ma photo ? ». Je me suis retournée et
ai vu un couple d’un certain âge : ils ont prudemment piqué du nez sur leurs genoux, et l’orage a fini par passer.
C’était une époque on l’on réunissait les conseils d’administration des établissements scolaires pour faire voter des modifications de règlement intérieur à propos du « foulard
islamique ». Mais à quoi correspondait cette tenue, je ne sais toujours pas.
Depuis quelques jours, à la télévision, dans les journaux, on voit la photo en gros plan de cette jeune femme qui a convoqué une conférence de presse parce qu’un OPJ lui a dressé Procès Verbal
lui enjoignant de payer une amende de 22 €. Dans mon éducation, il y a aussi eu un conseil: « il ne faut jamais essayer de jouer au plus con avec un flic ». Un jour, du côté de Salons
de Provence, j’ai eu une amende parce qu'au volant de ma voiture verte, je circulais dangereusement, n’ayant pas mis mes codes par temps de brouillard. J'ai tenté de me justifier :
« Vous m’excuserez, mais je viens de l’Allier, et ce que je vois ici, ce n’est pas pour moi du brouillard ». Je me suis quand même informée : « Il y a plein de gens qui
roulent sans avoir allumé leurs feux : pourquoi ne les arrêtez-vous pas ? » - « Je suis comme le boucher, m’a t’il été répondu, je ne sers qu’un client à la fois ». Je
n’ai pas insisté pour savoir pourquoi ses collègues ne bougeaient pas non plus et ai envoyé le paiement de mon amende, en leur joignant au dos d'une photo de la montagne Sainte Victoire, sous un
soleil radieux, que j'avais prise ce même matin. Et désormais, quand je vais dans les Bouches-du-Rhône, je prends le train et loue une voiture immatriculée dans le département.
Pour en revenir à la dénommée « Anne », qui a de très beaux yeux habilement maquillés (on ne voit d’ailleurs qu’eux) et se plaint d’être « stigmatisée », elle m’a
rappelé une remarque faite par J. DEFOURNEAUX, un historien, auteur d’une « Vie quotidienne en Espagne au Siècle d’Or », et qui m'avais frappée quand j'étais étudiante. Dans l’Espagne
très catholique du XVIe s. (le Siècle d’or, c’est précisément le règne de Philippe II : 1556- 1580), les costumes des femmes comportait un voile, ou une mantille. Or, un règlement avait dû être
pris pour interdire qu’elles dissimulent aussi sous leur voile le bas de leur visage, ou pis, ne laissent apparaître qu’un œil, car cela était considéré comme très érotique. L’on sait aussi
l’intérêt de se dissimuler derrrière un éventail, pour allumer les hommes, dans l’arsenal de séduction des coquettes de cette époque.
On peut être très pudique en jupe courte, l’indécence est surtout dans les fantasmes de celui qui s’en émeut. Le héros des « Dieux sont tombés sur la tête»,
qui évolue avec naturel dans sa tenue de pigmée n'a rien d'indécent. Dans Tartuffe, à l’injonction « Cachez ce sein que je ne saurais voir », Dorine répondait
(approximativement) « Moi, je pourrais bien vous voir nu du haut jusqu’en bas, que ça ne me donnerait pas envie de vous » ! Je me souviens d’un huissier de justice, qui proposait à
ses amis de l’accompagner quand il avait à intervenir dans un camp de naturistes : « histoire de rigoler ». Je n’étais pas vieille, mais je le trouvais un peu bizarre. Je n'avais
pas mis le mot «voyeurisme» dessus son attitude. En revanche j’aurais trouvé anormal que les « Tout Nus » (comme l’on dit dans « Camping ») sortent de leur camp dans
cette tenue. Quand on ne veut pas être remarqué, il faut éviter d’être spectaculaire. Ou alors assumer.
Et pour vivre en société, il y a un minimum de consensus à respecter dans les codes, y compris vestimentaires : il y a un bon nombre d’années de cela, le
journal local de Moulins s’était ému de ce que les touristes du camping, qui passaient le pont, venaient se promener dans le centre ville en maillot de bain. Je ne sais pas si cela a fait
l’objet d’un arrêté municipal, mais je ne vois plus personne se promener en tenue de plage… A moins qu’il n’y ait plus de touristes du tout !