J’avais 8 ou 9 ans quand j’ai entendu parler pour la première fois du massacre des 632 habitants d’Oradour-sur-Glane présents le 10 juin dans leur village, à
l’exception d’une grand-mère (en réalité, elle avait 47 ans) et d’un jeune écolier qui avaient pu échapper au massacre : la première en sautant par une fenêtre de l’église, le second en se
cachant en rentrant de l’école. Ce fut ma grand-mère qui évoqua le sujet et elle connaissait tous les détails de cet évènement.
Il faut dire que le procès des soldats de la Waffen SS « das Reich », (bataillon « der Führer »), impliqués dans le massacre d’Oradour s’était tenu à Bordeaux, en 1953,
et avait eu un grand retentissement, car sur les 21 soldats traduits en justice, hommes du rang et sous-officiers, figuraient quatorze Alsaciens. Le climat du procès avait été très tendu et le
débat avait divisé la France. L’instruction avait été entamée par la cour de justice de Limoges dès 1944, et fut longue et délicate. En Alsace, on mettait en avant que nombre de jeunes gens
de la province avaient été incorporés de force dans l’armée allemande : on les appellait les « Malgré nous ». Quelle responsabilité pouvait-on alors leur imputer dans les
massacres ?
Ceux des accusés qui furent reconnus avoir été des « Malgré nous » écopèrent de cinq à douze ans de travaux forcés ou de cinq à huit ans de prison. Le seul alsacien engagé volontaire
dans la Waffen-SS, fut condamné à mort pour trahison.
Oradour est situé dans le département de la Haute Vienne et à 20 kilomètres de Limoges.
En 1944, mes grands parents habitaient alors au 24, à la Pierre Percée, sur Noyant. Le lieu-dit la Pierre Percée a une particularité : il est commun à la fois à Noyant et à Châtillon.
Il est traversé par une route, maintenant déclassée en RD 945 mais qui fut longtemps la RN 145. Et la RN 145 joint Moulins à Limoges, en passant par Guéret.
Le village était situé en zone non occupée jusqu’en 1942. Mais entre 1942 et 1944, j’imagine que les habitants de la Pierre Percée ont dû avoir l’occasion de compter de nombreux passages de
convois militaires.
Un soir de l’année 1944, une colonne de soldats allemands s’arrêta à la Pierre Percée : ma grand-mère m’avait rapporté qu’ils étaient à la recherche des jeunes gens du village. Je me
souvenais d’une version dans laquelle, André Thévenin, qui avait alors 22 ou 23 ans et qui était aveugle, était allé au devant d’eux et leur avait dit : « Je suis le seul jeune du
village qui reste : vous pouvez m’emmener ». Je n’avais jamais eu l’occasion d’évoquer cette histoire avec ma mère, qui elle, habitait alors Souvigny, mais qui en a entendu parler
ultérieurement par ma famille paternelle. En réalité, m'a-t'elle précisé, les allemands sont arrivés à la nuit tombée, et sont entrés dans les maisons. Ils ont trouvé André Thévenin chez lui,
dans le noir et lui ont demandé pourquoi il n’allumait pas la lumière : c’est là qu’il a expliqué qu’il était aveugle et a affirmé qu’il n’y avait plus de jeunes au village. Les allemands
n'ont pas cherché à en savoir plus.
Où avaient ils disparu ces jeunes ? Je n’ai jamais eu de renseignements précis là dessus : il paraîtrait que certains se cachaient dans les Côtes de Châtillon. Mon père, qui avait été
lui-même dans un « chantier de jeunesse » dans le Puy-de-Dôme, jusu'au début du mois de juin 1944, m’a un jour raconté que des camarades bien informés lui avaient suggéré de s’enfuir
avec eux le 5 juin, c'est-à-dire la vaille du débarquement allié. Ils risquaient en effet une incorporation dans l’armée allemande ou une déportation au service de travail obligatoire
(STO).
Les témoins des faits ont, par la suite, fait de cette colonne allemande une unité de cette division das Reich, qui après de nombreuses exactions dans le midi, en
remontant vers le front de Normandie avait pendu 99 habitants de Tulle aux balcons de la mairie et aux réverbères de la place, avant de raser le village d'Oradour-sur-Glane et d'assassiner tous
ses habitants.
L’an dernier, à l’occasion du 1er mai, j’ai entendu un autre récit, fait par des descendants d’habitants des Corons de Noyant, et qui implique,
lui aussi, la division das Reich : Wanda Drozdz ( dans « Il était une fois Noyant d’Allier », opuscule ronéoté, édité par C. Hardouin, mai 2008) raconte : « C’était
un dimanche, en juin 1944 {…} Vers 3 heures de l’après-midi, une compagnie allemande est venue sur les lieux {...} et partait vers Chaumont lorsque les allemands ont vu deux hommes courir à
travers pré, à découvert, pour rejoindre Noyant. C’étaient deux jeunes gens des corons qui revenant de la pêche à Messarges étaient allés voir {le lieu où s’était produit l’embuscade}….
Suivant leur progression avec des lunettes d’approche, les allemands ont alors changé de direction et se sont lancés, selon leur expression, à la poursuite des « terroristes » car ils
pensaient avoir affaire à des maquisards. C’est ainsi qu’ils sont arrivés à La Vallée, devant notre maison {… }. La compagnie s’est alors dispersée sur La Vallée pour une fouille
systématique de notre maison, de celle du métayer d’à côté, Janiszewski ainsi que de la ferme Blandin en contrebas. » Ils étaient très agressifs : l’officier à leur tête avait un
revolver dans chaque main. Notre voisin Janiszewski qui parlait allemand, a voulu désamorcer la tension en expliquant qu’ils s’agissait seulement de jeunes gens des corons qui étaient allés
à la pêche et s’étaient arrêtés par simple curiosité. Il a été emmené comme interprêtre ainsi que son beau-frère Wladyslaw qui avait eu la mauvaise idée {de s’exprimer en polonais
... } avait été compris par un soldat ukrainien de la compagnie {…} Le soldat ukrainien qui avait fait la fouille chez le voisin, manifestant ainsi sa haine des Polonais, a cherché à
provoquer mon père {….}. Aux corons, les allemands ont pris des otages {qui} ont été emmenés à Moulins à la Kommandantur.
Et W. Drozdz conclut : « La compagnie qui officiait faisait partie du régiment das Reich, celui qui s’est illustré à Oradour sur Glane. Noyant aurait pu subir le même sort que ce
village. Mais les allemands avaient le feu aux trousses. »
En voulant replacer dans leur contexte ces deux récits, celui fait par ma grand-mère et celui de Wanda Drozdz, j’ai été amenée à constater qu’on ne savait pas
réellement où ont divagué ces divisions ou brigades, chargées de pourchasser les « terroristes ». L’ épisode narré par ma grand-mère est-il lui aussi en relation avec
l’attentat du « Rocher Noir » mené par le maquis Danielle Casanova ? Ou l’épisode est-il plus tardif, alors que l’armée allemande était en déroute et refluait vers
l’est, comme j’avais cru le comprendre ?
La division das Reich est bien repérée entre le 8 et le 11 juin 1944. Après le débarquement des alliés en Normandie, le maréchal von Rundstedt, commandant en chef du front de l'Ouest, lui
ordonna le 8 juin 1944 (elle était alors stationnée alors à Toulouse), de gagner le front. Mais l'unité devait le rejoindre en traversant l’intérieur de la France car elle avait une mission
particulière ainsi que l’explicite le maréchal von Rundstedt dans son « journal de guerre » : « Le développement des bandes dans le Massif central pendant ces derniers jours
exige l’emploi immédiat et impitoyable de forces plus importantes. [J'ordonne] de mener des actions de grande envergure contre les bandes dans le sud de la France avec la plus extrême
vigueur et sans ménagement. Le foyer d’agitation qui persiste dans cette région doit être définitivement éteint. Le résultat de l’entreprise est de la plus haute importance pour l’évolution
ultérieure de la situation à l’Ouest. Dans ce genre d’opération, un demi-succès ne sert à rien. Il faut écraser les forces de résistance au moyen d’attaques rapides et enveloppantes. Pour le
rétablissement de l’ordre et de la sécurité, les mesures les plus énergiques devront être prises afin d’effrayer les habitants de cette région infestée, à qui il faudra faire passer le goût
d’accueillir les groupes de résistance et de se laisser gouverner par eux. Cela servira en outre d’avertissement à toute la population ». (KTB/Ob. West, XIII-f Anl. 159 et XIV-f)
On la trouve à Limoges, puis dans la Creuse (sources : http://papounet-le-creusois.over-blog.com/article-21277298.html ), mais il semble bien qu’elle ait ensuite poursuivi directement sa
route vers la Normandie sans divaguer dans l’Allier.
Alors quelle était cette colonne où l’on trouvait des ukrainiens ?