En allumant ma radio vers midi, j'ai entendu une dame qui étouffait d'indignation parce qu'un lycéen de 16 ans avait été convié pour expliquer pourquoi son mouvement (l'UNEF lycéens : je ne svais pas que celà existait !) appelait à aller manifester. "Moi, je n'ai pas voté avant 21 ans" disait-elle. "Et vous n'avez qu'à travailler, réussir les concours des grandes écoles. Et à votre âge, on ne se préoccupe pas de la retraite".
Je suis, comme elle, réservée sur la pertinence qu'il y a, pour un lycéen, d'aller manifester dans la rue. En revanche, si des lycéens sont inquiets de leur avenir, cette inquiétude me paraît devoir être prise en compte.
Une remarque avant de développer mon sujet : un concours offre un nombre limité de postes. Donc, c'est une minorité seulement qui réussit. Et le concours est le mode d'accès à la fonction publique : l'idéal de cette dame était-il d'être fonctionnaire ?
Je me suis posé 2 questions : au cours des âges, les jeunes ont-ils toujours été inquiets pour leurs vieux jours ?
La deuxième : quelle est la valeur symbolique de la retraite ? Ce qui débouche sur une réponse à donner à : " à votre âge on ne se préoccupe pas de la retraite, on bosse". Et dans cette optique, il n'était pas hors sujet pour le jeune homme mis en cause d'évoquer le fait qu'il était difficile d'accéder au travail avant l'âge de 30 ans.
En ce qui concerne la première question : pour ma part, j'ai commencé de cotiser à la retraite à l'âge de 19 ans. Je me suis syndiquée, ai adhéré à la MAIF et à la CAMIF. Et à 25 ans, j'ai souscrit pour une mutuelle complémentaire : la MRIFEN. Née dans une école, ces démarches m'étaient naturelles. Mais elles étaient aussi naturelles pour les enfants et petits enfants d'employés des chemins de fer et aussi ceux de mineurs qui depuis le tout début du XXe siècle connaissaient une protection sociale, avaient vu dans les corons des gens qui cotisaient à de caisses de retraites, mais qui n'en profitaient pas souvent. Des indemnités étaient souvent versées, en revanche, pour une maladie professionnelle qui était la silicose. On remarque qu'on n'est là en présence que de "régimes spéciaux". Etaient notamment exclus de ce système protecteur les artisans et les commerçants.
Je ne répondrais pas, faute d'éléments, à la question de l'inquiétude des jeunes gens au cours des siècles: il faudra que je vois si les Annales E.S.C. évoquent ce sujet. Tout juste rappelerai-je que les hôtels-Dieu étaient destinés à accueillir les pauvres, que la société des marchands fréquentant la rivière de Loire et ses affluents avait prévu de prendre en charge ses employés malades ou âgés, et/ou leurs familles, que le duc de Bourbonnais subventionnait, à Moulins, un hôtel Dieu sous le vocable de Saint-Julien pour héberger ses "vieux serviteurs". La préoccupation de solidarité est donc ancienne : mais elle la grande nouveauté, en 1945, est qu'on a voulu l'"universaliser".
En ce qui concerne la seconde question : mes grands parents, retraités de l'agriculture, ont été parmi les premiers à bénéficier d'une "retraite agricole". La somme qu'il percevait était bien dérisoire. Mais je me souviens de ma grand-mère disant : "Nous n'avons jamais été si heureux que depuis que nous sommes "rentiers". En Bourbonnais, dans une région aussi marquée par le système de métayage et ses dérives, cette remarque est très révélatrice. Les gens veulent bien travailler, s'investir : mais ils rêvent d'un "retour sur investissement" : avoir du temps pour voyager, s'occuper de sa famille, pouvoir accéder à la culture. Toute une génération, celle qui est entrée dans le monde du travail après 1945 et qui a fait beaucoup d'enfants, en a bénéficié. C'est à eux, essentiellement, que l'on doit l'augmentation de l'espérance de vie. Rappelons qu'elle n'a rien d'inéluctabble et qu'en Russie, elle diminue régulièrement.
La préoccupation des jeunes n'est pas tellement le droit de vivre de leurs rentes toute leur vie, mais d'avoir une aisance pour accumuler des cotisations et se constituer ainsi une rente, afin de ne pas mourir au travail. Avoir le droit, quand le corps ne suit plus de se mettre les doigts de pied en éventail. Leur inquiétude sur le fait qu'ils n'obtiennent une situation stable leur permettant de procéder ainsi, que vers 30 ans, se comprend donc. Pour arriver à vivre de rentes, la seule solution pour les pauvres serait-elle de gagner au loto ?
Ce rêve de ne pas se tuer au travail est universel : la veille, sur M6 "Enqêtes exclusives " présentait les sort des "filles de bar" de Thaïlande. Originaires de la campagne, où ce qu'on leur propose est de se marier, d'avoir des enfants et de se casser le dos dans les rizières, elles se prostituent auprès des touristes étrangers pour échapper à ce sort. Certaines espèrent cependant trouver le prince charmant : mais il a une bien étrange allure.
Mais le principal problème est sans doute que si les pauvres peuvent vivre de leurs rentes, celà dévalorise la situation de rente des riches.