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18 mars 2008 2 18 /03 /mars /2008 12:43

"Coluche parlait de lui comme du "frère de l'acteur". J'avais presqu'oublié que François Léotard avait été un  "homme politique d'avenir". L'autre jour, il présentait ce qu'il qualifie lui-même de pamphlet : son discours a attiré mon attention. Dans une librairie, j'ai feuilleté son petit livre (130 pages), intitulé "ça va mal finir" et je l'ai acheté.
J'aime bien ce que celui que le "Canard enchaîné" caricaturait en "frère Léo" parce qu'il a, si je me souviens bien, passé un an dans un couvent, dit de la laïcité  (pages 82 à 85) : il formule mieux que je ne saurais le faire, ce que moi, qui viens d'un autre horizon, je pense et il exprime la même préoccupation devant la montée de tous les intégrismes. 

« II n'est rien de plus naturel à l'homme de tuer », disait Simone Weil, la philosophe. Lorsqu'il est commis au nom de Dieu, cet acte « naturel » prend une étrange dimension. C'est la raison qui me pousse à attacher une grande importance à ce que notre pays a inventé sous le nom de laïcité. Il y a peut-être quelque prétention à affirmer que nous aurions découvert tout seuls ce terme et cette réalité. (Rendons à César... déjà deux millénaires.) Mais il peut y avoir une fierté française devant ce que j'ai envie d'appeler une victoire sur nous-mêmes. La fille aînée de l'Eglise, selon l'expression consacrée,  spécialiste en pogroms divers à l'encontre de toutes sortes d'« infidèles », avait construit un corpus doctrinal, un mot, des lois, une pratique dont la modernité continue à nous étonner.
Lorsqu'on mesure, partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis, la façon dont Dieu s'impose dans les compétitions politiques, dans l'expression des Assemblées, dans les musées et les salles de classe, sur les billets de banque eux-mêmes, on ne peut que s'inquiéter. Dieu n'est pas « avec nous ». Ce n'est pas ce qui figure sur le fronton de nos mairies. Ce n'est pas le contrat que nous avons passé avec nos concitoyens...
Nous avons de l'expérience en Europe : dès que Dieu devient une res publica, il s'invite à nos massacres. Je ne refuse pas à notre Chanoine-Président le droit de s'exprimer en privé sur ce sujet. Je crains simplement que sa plume dans la préparation d'un discours public ne se soit, à Rome ou à Ryad, une nouvelle fois égarée. La mémoire n'étant pas toujours au rendez-vous, il faut rappeler ce qui a été dit dans la basilique Saint-Jean de Latran par le Président d'une République laïque : « Dans la transmission des valeurs et dans l'apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé... » (sic). En relisant ces mots je pense à la longue lignée des instituteurs de France, aux pages du Grand Meaulnes, à toute cette histoire de hussards noirs et de craie blanche, de tabliers et de dictées, sur laquelle, avec tant de peine, la République s'est établie. Comme à d'autres enfants ou adolescents, les enseignants de l'école publique m'ont  appris   à  penser   par   moi-même,   à recevoir en héritage le monde grec, la philosophie des Lumières, les frasques de Casanova, la Révolution de 1848, le mythe de Sisyphe, tout  cela   mêlé   à  toutes   sortes   de   livres abondamment condamnés. Entre le bien et le mal, c'était à moi de faire le tri. Et eux n'avaient pas à « remplacer » le pasteur ou le curé. Chacun faisait son boulot d'espérance et de jugement.
«Les racines essentiellement chrétiennes» de la France, «l'intérêt» de la République à compter beaucoup de croyants, il peut le dire, notre Président, comme citoyen tant qu'il veut. C'est même la grande force de la laïcité que de le lui permettre.  Cette distinction entre sa liberté personnelle et les contraintes du domaine public, dont il a la charge, est une formidable invention du siècle passé. C'est donc un joli paradoxe qu'au moment même où le chef de l'Etat franchit cette frontière, c'est le principe de laïcité qui le rappelle à la dignité de sa fonction.
Car il « représente » comme on dit. Si un Président de la République affirmait qu'il était dans l'intérêt de la République de compter beaucoup d'athées, il susciterait le même - exactement le même - malaise.
Il se trouve que nous avons vécu cette autre version, qui déshonora la Révolution française. On connaît sa conclusion qui a porté le joli nom de Terreur.
Avec   l'Eglise,   nous   avons   connu   aussi d'autres terreurs, celle de l'Inquisition, des dragonnades, des massacres de protestants, de cathares ou de musulmans. Faut-il rappeler que notre passé est lourd du sang de ces
martyrs qui refusaient ce que l'on appelait alors «la vraie foi». Dans le cadre d'une lecture attentive  d'Albert   Camus,  je  suggère   aux enseignants de proposer à leurs élèves une réflexion critique et argumentée du discours de Rome. Le thème, écrit au tableau noir, comme l'étaient jadis  les  maximes  morales,  serait formulé d'une façon affirmative :  « Chaque homme est l'inventeur de sa propre espérance. » Commentez...
Hors de Sarkozy point de salut nous disent les nouveaux dévots du parti majoritaire. Je crois au contraire que lorsqu'on s'engage dans cette image déformée d'une République partiale qui semble oublier qu'elle est issue des Lumières, on offre aux intégrismes un véritable boulevard. Un salut qu'ils n'attendaient plus. Et je pense à Albert Cohen : « Dieu m'aime tellement peu que j'ai honte pour lui... ».

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commentaires

J
...oui excellent texte ...
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K
je n'ai pas lu le livre de François Léotard je ne peux qu'être en accord avec ce passage que tu cites. Prenons garde aux intégrismes, notre histoire en effet riche d'enseignement et de drames nous a amenés à un équilibre fragile qui demande à être défendu. L'idée de faire commenter le discours de Rome par les professeurs n'est pas à négliger pas plus que celle d'autres déclarations dans une réflexion sur la laïcité.
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