La Vague (die Welle) est un film sorti en 2008, et qui a, paraît-il, obtenu un phénoménal succès en Allemagne.
Il a été projeté à Moulins dans le cadre du festival Jean Carmet, qui non seulement projette des films pour attribuer un prix du second rôle, mais aussi des courts métrages ainsi que des
films à destination du jeune public. C’est dans ce dernier cadre qu’a été projetée « La Vague ». Je seraisq curieuse de savoir quelles conclusions en ont tirées les classes de 3e qu'on
y a emmenées. Une cinéphile avertie a attiré mon attention sur lui, en me le résumant ("le prof fait porter un uniforme à ses élèves : un jean et une chemise blanche et les jeunes se saluent
par un geste de reconnaissance qui imite le mouvement d’une vague") et en concluant « ils sont fous ces allemands ».
J'ai été surveillante dans un lycée et, un beau jour de printemps, un de mes collègues avait fait ironiquement remarquer : « vous avez vu, nous sommes en uniforme : nous portons
tous un jean et une chemise ou un chemisier blanc ! ».
Voici donc le résumé du film :
Ses élèves l’appellent Rainer et le tutoient : 45 ans, la nuque bien propre, fan de « Techno » qu’il écoute à fond la caisse dans sa voiture, habitant avec sa compagne prof et
enceinte sur une péniche, il entraîne l’équipe de water polo de l’école qui doit affronter à la fin de la semaine celle d’un établissement voisin. Il enseigne, on ne sait trop quelle matière,
d’ailleurs, à une classe de terminale dans une Volkhochschule d’une ville assez glauque. La plaque d’immatriculation (BE) ne correspond à rien, mais le paysage urbain évoque assez bien une de ces
villes sinistrées de l’ancienne RDA.
Peu de temps avant la fin de l’année scolaire, les élèves de terminale doivent s’inscrire dans un groupe pour travailler autour d’un thème : le choix est offert entre l’anarchie ou
l’autocratie. L’objectif de la direction de l’école et de l’équipe pédagogique est clairement affirmé : « il faut faire prendre conscience aux jeunes que la démocratie est le meilleur
des systèmes politiques ».
Rainer est un peu vexé de ne pas avoir été retenu pour animer le thème autour de l’anarchie car il s’estimait compétent pour ce faire : il a étudié à Berlin et a habité un squat pendant
plusieurs annéesn, rappelle-t'il. Et c’est à un bavarois aux abords de la retraite que l'anarchie a été confiée ! Il lui échoit donc de parler de l’ « autocratie ».
La première leçon consiste à définir le sujet : « Système politique dans lequel le souverain dispose d'un pouvoir absolu - synonymes : absolutisme, arbitraire,
autoritarisme, despotisme, dictature, tyrannie ».
Puis Rainer a l’idée de faire faire des exercices pratiques. Il faut d’abord élire un leader : les élèves élisent leur prof. Les réactions des jeunes lui échappent peu à peu et la situation va déboucher sur un drame.
Le critique de Télérama a jugé que ce film, qui se déroule sur une seule semaine, n’était pas plausible. C’est vrai : mais les tragédies du XVIIe siècle sont censées se dérouler en une
journée. Et on les étudie encore dans les lycées et même en fac !
Ce film est une parabole et peut se lire de plusieurs façons. S'agit-il d'une mise en garde du réalisateur contre un renouveau du nazisme en Allemagne ? Une des lycéennes affirme au début de l'histoire : « la dictature, ça ne peut pas revenir en Allemagne : on nous a assez prévenu contre ». Si j’ai remarqué
que l’histoire se déroule apparemment dans l’ancienne Allemagne de l’est, c’est que je me suis mise à la place de ces allemands de 20 ans, nés avec la chute du mur. A l’est, les autorités de
RDA ont dédouané leurs concitoyens du poids du nazisme, en rappelant, non sans justesse d’ailleurs, que les communistes avaient été des résistants. Mais, avec la révélation au public
des archives de la Stasi, les jeunes allemands de l'est ont découvert que quand leurs parents étaient jeunes, ils s’espionnaient et se dénonçaient à l’intérieur des familles.
Rainer est un « alternatif ». A la fin du film, il sait faire preuve de courage et d’une sage autorité avant d'être emmené, menottes aux mains par la police. Dans le film, les
anarchistes ne sont pas mieux traités que les sympathisants de « la Vague » : ils sont présentés comme assez bas de plafond et apparaissent comme plutôt agressifs. Et puis, il y a des
côtés sympa aussi dans ce mouvement : une nouvelle solidarité entre les élèves s'instaure, notamment quand l’un d’eux est pris à parti par deux jeunes hérissés de percings. Avant de troquer
leurs vêtements contre un jean et une chemise blanche, les punks ou les « gothiques » de la classe de terminale, portent aussi des uniformes, comme le leur fait remarquer Rainer.
Et puis, des signes de reconnaissance dans les saluts, il n’y en a pas que dans les mouvements totalitaires !
Mais dans ce processus d'aliénation de l'esprit critqiue, les allemands ne sont pas, par une fatalité de leur destin, les seuls en cause : je renverrai à un ouvrage
assez ancien (mon exemplaire date de 1974) d’un psychologue américain nommé Stanley Milgram, « la soumission à l’autorité ». Pour une soi-disant expérience sur la résistance physique de
cobayes humains, il avait placé des volontaires devant une console avec des boutons supposés envoyer un courant électrique. Derrière la vitre, le cobaye mimait la douleur. Un
« scientifique » en blouse blanche placé derrière eux leur donnait l’ordre de continuer, voire d’augmenter la puissance du courant… Que croyez-vous qu'il advint ?
Dans le film, il y a deux jeunes filles, deux seulement (et des filles !), modernes Inge Scholl, qui occupent leurs nuits à rédiger des tracts, à les photocopier (on a déconnecté leurs
ordinateurs) pour dénoncer les dérives qu’elles perçoivent. Elles les distribuent le jour du match de water polo au cours de laquelle, un équipier, membre de la Vague, tente de noyer un de ses
adversaires !
En ce moment sort sur les écrans le « ruban blanc », Palme d'or à Cannes, qui veut aborder les raisons de l'émergence du nazisme.